Laure PILLIER*, Florent KRAVTCHENKO, Mirna SHAMAS, Sébastien BATUT, Bénédicte CALIMET, Christa FITTSCHEN
PC2A - Physico-Chimie des Processus de Combustion et de l'Atmosphère - UMR 8522
* Laure.Pillier.fr univ-lille
Contexte et objectifs
Ce projet de recherche s’inscrit dans la problématique de la chimie atmosphérique, et porte plus précisément sur l’étude des réactions chimiques qui font intervenir des espèces radicalaires dans l’atmosphère.
Les radicaux hydroxyles OH, hydroperoxyles HO2 et alkylperoxyles RO2 jouent un rôle clé dans la chimie atmosphérique, contrôlant la capacité oxydante de l’atmosphère, la formation d’ozone troposphérique et celle de polluants secondaires. Ces radicaux participent à un cycle de transformation impliquant les oxydes d’azote NOx (NO et NO2), représenté sur la Figure 1.
Le radical OH étant le principal oxydant présent dans la troposphère, les polluants organiques (Composés Organiques Volatils COV) d’origine biogénique ou anthropogénique vont être oxydés par réaction avec OH puis former les radicaux peroxyles RO2 en présence d’oxygène :
RH + OH → R + H2O
R + O2 → RO2
Dans les environnements pollués, zones où les émissions d’oxydes d’azote (NOx) d’origine anthropogénique sont importantes, les radicaux RO2 réagissent avec NO conduisant à la production d’ozone.
Dans les régions dites « propres » (régions éloignées des activités humaines, forêts tropicales, couche limite marine), où les émissions de NOx sont faibles, les radicaux RO2 réagissent principalement avec HO2 ou par réaction du type RO2+RO2, conduisant à la formation d’hydroperoxydes organiques ROOH :
RO2 + HO2 → ROOH + O2
R= CH3, C2H5, CH3C(O), CH3C(O)CH2,
Les espèces du type ROOH sont relativement stables dans la troposphère (durée de vie en moyenne supérieure à 1 jour), la réaction est donc considérée comme un processus de terminaison (puits de radicaux RO2 et HO2), modérant la capacité oxydante de la troposphère.
Cependant des études théoriques et expérimentales récentes montrent que les réactions entre les radicaux RO2 et HO2 sont plus complexes et peuvent présenter trois voies réactionnelles possibles :
RO2 + HO2 → ROOH + O2 (1)
→ ROH + O3 (2)
→ RO + OH + O2 (3)
Dans ce cas, la connaissance des rapports de branchement entre les différentes voies est indispensable pour la compréhension du mécanisme d’oxydation des COV présents dans l’atmosphère.
De plus, très récemment, une nouvelle voie réactionnelle a été mise en évidence comme possible voie d’oxydation des radicaux peroxyles RO2 en atmosphère propre : la réaction RO2 + OH. Cependant, peu d’études de la littérature traitent de ces réactions qui ne sont, à l’heure actuelle, pas prises en compte dans les modèles de chimie atmosphérique.
Les réactions RO2+HOx (HO2 et OH) sont (ou non) intégrées dans les mécanismes chimiques des modèles atmosphériques et les incertitudes ou le manque de données sur les constantes de vitesse et les rapports de branchement peuvent mener à des erreurs importantes sur les concentrations en ozone et en radicaux dans l’atmosphère. De nouvelles données expérimentales, avec une caractérisation plus détaillée à la fois des radicaux et des produits de réaction, sont clairement indispensables pour une meilleure compréhension des mécanismes chimiques de l’atmosphère.
L’objectif du projet est le développement d’un nouveau dispositif expérimental pour l’étude des réactions entre radicaux RO2 et HOx, et plus particulièrement la mesure des constantes de vitesse de ces réactions et les rapports de branchement. Le dispositif expérimental est constitué d’un réacteur à écoulement rapide (plusieurs m/s) couplé à la technique de Spectrométrie de Masse avec prélèvement par Faisceau Moléculaire (FM/SM) pour la détection des espèces stables et de certaines espèces labiles, la Fluorescence Induite par Laser (FIL) pour la détection du radical OH et la spectroscopie à temps de déclin d’une cavité optique (cw-CRDS : continuous wave Cavity Ring-Down Spectroscopy) pour la détection du radical HO2. Le couplage de ces trois techniques d’analyse à un réacteur à écoulement rapide est, à notre connaissance, une première.
Ce projet fait partie intégrante des orientations de recherche développées dans le cadre du Labex CaPPA (Chemical and Physical Properties of the Atmosphere, WP1 : From gas phase to aerosols: biogenic volatile organic compounds (BVOCs) as precursors for particles) et du projet CPER Climibio(Changement climatique, dynamique de l’atmosphère et impacts sur la biodiversité et la santé humaine, WP1 : Méthodes d’évaluation de la qualité et du changement des milieux) dans lesquels le laboratoire PC2A est fortement impliqué.
Dispositif expérimental
La technique du réacteur à écoulement rapide (vitesse de plusieurs m/s) est une méthode très bien adaptée aux études cinétiques de réactions élémentaires, et particulièrement pour les études des réactions radical + radical. Cette technique est utilisée à basse pression (0,5-10 Torr) de manière à garantir les conditions d’écoulement piston en régime visqueux. La détermination des paramètres cinétiques se fait généralement en appliquant la méthode de dégénérescence de l’ordre (approximation de pseudo-premier ordre) en utilisant l’un des réactifs en excès par rapport à l’autre de telle sorte que la concentration de l’espèce en excès est considérée constante au cours de la réaction.
Le réacteur, représenté schématiquement sur la Figure 2 et en photos sur la Figure 3, est constitué d’un tube cylindrique fixe en inox de longueur 75 cm et de diamètre interne de 2.5 cm, dans lequel coulisse un tube central en verre : l’injecteur, de longueur 83 cm et de diamètre interne de 8 mm. Ce dernier permet de faire varier le temps de réaction entre les deux réactifs. L’écoulement dans le réacteur est de type visqueux et laminaire, assimilable à l’écoulement piston, le gradient de concentration étant rendu négligeable par la diffusion radiale. Ainsi le temps de réaction t peut se définir par la relation : t= d/v ; d étant la distance à laquelle est positionné l’injecteur par rapport à l’extrémité du tube fixe et v la vitesse moyenne d’écoulement.
Les radicaux peuvent être générés à deux endroits différents, soit dans l’injecteur, soit dans le réacteur. Des décharges micro-ondes (2450 MHz – 200W max, Sairem GMS200W) sont utilisées pour produire les espèces atomiques et radicalaires. Pour limiter les réactions des radicaux aux parois des tubes, le réacteur est recouvert de cire halogénée (polymère de chlorotrifluoroéthylène–Halocarbon Wax). Le réacteur est pompé en continu à l’aide d’une pompe à vide de 100m3/h (Pfeiffer UNO 120). La mesure de pression dans le réacteur se fait à l’aide d’une jauge de pression de type BaratronÒ 0-10 Torr. Les réactifs sont fortement dilués dans un gaz neutre (He).
Le réacteur est muni d’une double paroi permettant la circulation d’un fluide réfrigérant (ou chauffant) à l’aide d’un cryothermostat. L’extrémité du réacteur comporte une cellule optique constituée de 5 accès optiques pour permettre les mesures par techniques laser : la cw-CRDS et la Fluorescence Induite par Laser et d’un cône de prélèvement pour la spectrométrie de masse.